Baudelaire, Les Fleurs du Mal
On étudie la 2ème section: «Tableaux Parisiens», dont le thème est la rencontre de la ville, l'esthétique de la modernité. Ce livre a connu 3 éditions: 1857, 1861, 1868.
3 lectures analytiques :
- Le Cygne (2ème partie)
- A une Passante
- Le Crépuscule du Matin
4 lectures :
- Le Soleil
- Le confiteor de l'artiste (prose)
- Le désir de peindre (prose)
- Le peintre de la vie moderne (prose)
Baudelaire est un poète majeur. Il hérite du romantisme, considéré comme né en 1820 en France avec l'oeuvre de Lamartine Les Méditations Poétiques, donc de l'importance du moi et de l'individu, ainsi que de tout le registre lyrique (expressions des sentiments), exprimé chez Baudelaire avec souffrance et révolte. En revanche, il refuse l'engagement politique (pour lui l'artiste ne doit pas s'engager dans la société ou prendre parti car il revendique une grande liberté de l'artiste), contrairement à Byron. De plus, Baudelaire est un poète qui n'aime pas la Nature, ce qui est paradoxal puisque le champ lexical du lyrisme repose en grande partie sur celle-ci. En effet, il lui préfère la ville et ce qui est moderne, c'est l’esthétique de la modernité. Néanmoins, il accorde une grande importance à l'imagination, qu'il considère comme «la reine des facultés».
Les romantiques ont beaucoup développé la poésie, notamment en reprenant des formes poétiques abandonnées, comme la ballade ou même le sonnet (Gérard de Nerval, Les Chimères). Leurs poèmes sont le plus souvent longs.
Il y a beaucoup de sonnets dans Spleen et Idéal (la 1ère partie du recueil) mais peu dans les Tableaux Parisiens. Grâce aux contraintes métriques, Baudelaire peut exprimer sa tension intérieure dans Spleen et Idéal, tandis qu'il prend ses distance avec les Tableaux Parisiens.
Les romantiques ont crée le poème en prose, dont on estime la naissance avec Gaspard de la Nuit, d'Aloysius Bertrand, en 1842. Baudelaire s'y intéresse de près et souhaite faire quelque chose d'analogue. Avec les romantiques, on accepte désormais tous les registres en littérature (exemple de Lorenzaccio). Dans Paysages, le 1er poème de la section, on trouve des mots étonnants dans un poème comme «tuyaux» ou «ateliers».
Baudelaire n'aime pas le romantisme caricatural, où l'on exprime de façon excessive sa souffrance. Il opère ainsi la synthèse du romantisme et du mouvement de «l'art pour l'art», qui a lui aussi influencé le poète. Ce mouvement est formulé par Théophile Gautier dans la préface de Mademoiselle de Maupin, en 1835, auteur important pour Baudelaire, puisque ce dernier lui dédie Les Fleurs du Mal, le qualifiant de «poète impeccable» (soit le poète parfait, revendiquant le mouvement de l'art pour l'art). Ce mouvement s'oppose au romantisme ou tout du moins tente de corriger ses excès. Théophile Gautier dira: «Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien. Tout ce qui est utile est laid. La beauté de l'oeuvre est d'autant plus grande que l'artiste a rencontré des difficultés techniques». Il y a donc un réel travail sur la forme, pour chercher des mots riches et variés, soigner les rimes, rechercher des sonorités et un rythme, jusqu'à ce que la poésie devienne un bijou, un travail d'orfèvre. Cela renvoie à Emaux et Camées, de Gautier. Baudelaire suit cet exemple et admire ce travail de la forme mais conteste le côté impartial et érudit de cette poésie, son caractère impersonnel: le poète ne dit pas je, il évoque l'Antiquité, des éléments historiques mais pas de sentiments. Or, Baudelaire veut parler de sentiments, il emprunte donc des éléments aux deux mouvements.
A partir de 1860, un autre mouvement se développe, celui du Parnasse, qui reprend les idées du mouvement de l'art pour l'art (une poésie donc assez froide) avec Leconte de Lisle et Hérédia (Les Trophées, «Les Conquérants»). Son intérêt est la forme du texte et les éléments personnels dans le poème.
L'esthétique de la modernité
La fonction du poète change, il devient le poète de la ville et non plus de la Nature. Il vit en ville, s'y ballade, observe (notons une dimension historique et sociologique car au XIXème, la vie en ville s'est développée tandis que le monde de la campagne attire moins le regard et le poète), décrit ce qu'il voit. Il va saisir par son écriture poétique ce qu'il a vu, entrevu pendant ses promenades. Cela a un côté fugitif mais le poème dure, on est entre le fugitif et l'éternité. La réalité observée par le poète est métamorphosée par son imagination. Et à esthétique nouvelle, langage différent. L'écriture poétique est alors fondée sur la métaphore. Baudelaire romps le lien qui unissait traditionnellement la poésie et la célébration du beau. Avec lui arrive une esthétique de la laideur. C'est le paradoxe de «La Charogne», le poète célèbre ce qui est horrible. Le laid devient ainsi beau, par l'écriture poétique: c'est l'alchimie de la poésie. Baudelaire dira: «Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or».
Lectures complémentaires - Tableaux parisiens
Les Tableaux Parisiens sont un ensemble de 18 poèmes développant l'esthétique de la modernité chez Baudelaire.
Le Soleil
Tout comme l'Albatros, ce poème est fondé sur une métaphore qui les compare au poète, explicitée à la fin, donc selon la même démarche. Les Tableaux Parisiens n'apparaissent pas dans l'édition de 1957 des Fleurs du Mal, mais dans la 2nde de 1961, les plaçant en 2nde position. Le Soleil occupe alors la précédente place de l'Albatros, les deux poèmes ont donc bien une signification similaire.
Le Soleil est un poème qui relève de la modernité car la ville est présente (v. 1, 17) (les champs font à l'époque presque partie de la ville). Baudelaire mixe dans ce poème la modernité et la tradition: béquilles (mot moderne) rime avec jeunes filles (v. 13-14), chloroses (= étiolement des plantes) rime avec roses (v. 9-10).
Dans la dernière strophe, le Soleil et le poète transforment même les paysages les plus laids comme les faubourgs et les hôpitaux. Ce poème complète ainsi l'image du poète élaborée dans L'Albatros: il est seul (v. 5) et est un homme de la ville (rime pavés/rêvés, v. 7-8), il s'inspire de ce qu'il y voit et rencontre. Le travail de la poésie relève de l'imagination («fantasque escrime», v. 5) et demande beaucoup d'efforts. Le poète observe dans un premier temps la ville puis il y a un travail d'imagination à mettre en oeuvre, il a du mal («trébuchant», v. 7) mais son travail continue («longtemps rêvés», v. 8).
Toute la seconde strophe détaille ce que permet le Soleil donc la poésie et le poète. On y remarque une polysémie du terme «vers»
Le Désir de Peindre
Le titre fait bien évidemment référence aux Tableaux Parisiens, à l'esthétique picturale des poèmes de cette section et aux peintures de Constantin Guys. Ce poème est la réécriture en prose de «La Passante».
En quoi ce texte peut-il être considéré comme un poème?
- C'est un texte descriptif, qui décrit la passante. Mais il développe surtout le thème du regard. On évoque aussi celui de la rapidité, du moment fugitif.
On insiste sur le personnage contradictoire qu'est cette femme, avec l'oxymore «Soleil noir» (différent de la Lune). Tout le texte développe ce thème antithétique de la passante.
- Il y a une allitération en L à la ligne 5, des rimes intérieures et un rythme (l. 6, alexandrin blanc)
On note la même notion de regret et du moment fatidique que dans La Passante: «explosion dans les ténèbres» (l. 8)
Cependant, ces deux poèmes proposent chacun une perception différente.
Pour qu'il y ait poème en prose, il faut admettre que la poésie est indépendante du vers. Un poème en prose repose sur 4 éléments:
- C'est une forme brève (texte d'1/2 à 2 pages) autonome, centrée sur un seul sujet et organisée en paragraphes
- Il contient des figures de style poétiques (métaphores) donc a une écriture élaborée
- Ses phrases sont rythmées: 3, 4 puis 5 syllabes à la ligne 5, marquant une gradation, alexandrin blanc (l. 6)
- Il présente le regard original du poète sur le monde
On le sait, Baudelaire souhaite créer des poèmes en prose analogues à ceux d'Aloysius Bertrand mais lui s'intéresse à la période contemporaine tandis que Bertrand s'occupe du Moyen-Âge. Il conçoit le poème en prose comme un réécriture des poèmes en vers (par exemple, «La Chevelure»), tout comme Rimbaud (avec «Aube» dans Illuminations), Mallarmé, Desnos et Francis Ponge (Le Parti Pris des Choses, 1942).
Les poèmes en prose peuvent être porteurs d'une morale (fable), narratifs, descriptifs..
Le confiteor de l'artiste
Un confiteor est un aveu de ses fautes, un mea culpa. C'est donc une confession. C'est un vocabulaire religieux, le poète exprime une pensée qui lui tient à coeur: une réflexion d'ordre esthétique (réfléchir sur le beau), philosophique. Malgré son aspect concret, elle est plutôt abstraite.
Nous sommes bien dans un poème en prose puisqu'il y a un rythme, avec des phrases courtes et longues, peu d'images mais un vocabulaire élaboré. De plus, on note l'expression du lyrisme: le poète s'adresse à la Nature, il y a une abondance du «je» («laisse-moi», v. 26), une expression des sentiments et états d'âmes, et ce par des phrases exclamatives. «Azur» (l. 8) est un terme poétique pour désigner le ciel, le vocabulaire est bel et bien élaboré.
Il y a une évolution dans le texte, au fil des 4 strophes de l'état d'esprit de l'auteur: au départ il aime contempler la Nature à l'automne en fin de journée, ce qui implique mélancolie et tristesse. Puis vient la réflexion, le confiteor, qui aboutit finalement à un sentiment insupportable. La Nature, belle parfaite et immuable devient insupportable pour lui. Il est alors en conflit avec la Nature puisque lui aussi souhaite faire le beau, la modernité, saisir l'instant présent. Mais, alors que la Nature propose quelque chose de stable et d'immuable, le poète n'y arrive pas et se sent donc en conflit avec cette Nature, vaincu par sa force et sa beauté immuable. On évoque le spleen et le malheur suite à l'échec de cette représentation du beau par l'auteur.