Le Cygne
Introduction
On n'étudiera que la 2nde partie du poème. Alors que la 1ère partie est consacrée au symbole du cygne, la 2nde l'est à l'illustration du symbole. Le thème de ce poème est les exilés, raison pour laquelle il est dédié à Victor Hugo, exilé volontaire en Belgique puis à Jersey et Guernesey suite au coup d'état du 2 décembre 1851. Il ne rentre en France qu'après la proclamation de la République (le 4 septembre 1870). Cette dédicace s'explique en effet par le sujet du poème mais aussi par la célébrité d'Hugo, que tout le monde connait. Il a une grande aura et un prestige certain, c'est un grand maître de la poésie.
C'est un poème en 6 quatrains donc 24 vers, en alexandrins aux rimes croisées. Il y a une alternance entre rimes féminines et masculines. On remarque 2 mots de liaison majeurs: «Aussi» (v. 33) et «Ainsi» (v. 49), organisant donc le texte en 3 mouvements:
- Le 1er quatrain expose la permanence du spleen de l'auteur dans un Paris en pleine transformation
- Quatrain 2, 3, 4, 5: les différentes figures d'exilés sont présentées, ce sont des alter ego du poète
- Le dernier quatrain offre un élargissement final à d'autres exilés, avec le «Ainsi»
Sujet: En se promenant dans Paris, le poète rencontre un cygne devant le Louvre, dans le jardin du carrousel, évadé de sa cage. Il est perdu, exilé et regrette son lac natal. C'est la 1ère scène. Puis, le poète continue sa promenade mais il ne reconnaît plus Paris, transformée par Haussmann. Il est ainsi exilé lui aussi, dans sa propre ville. Cela entraine chez Baudelaire une réflexion générale, une méditation sur tous les exilés, de toutes les époques, avec un niveau de passé parfois hors du temps, avec Andromaque.
Problématique: Comment la rencontre d'un cygne (dont il se souvient) dans Paris alors en pleine transformation, déclenche chez le poète une méditation sur tous les exilés?
Plan:
I. La permanence du spleen chez le poète dans un Paris en pleine transformation
II. Les différentes figures d'exilés
III. Une forme de conclusion?
OU
I.Le thème du souvenir
a) Le phénomène de mémoire (4 niveaux de passé)
b) L'auteur de change pas mais autour, tout change
II. Les «alter-ego» du poète
III. La mélancolie du poète
a. L'effet des rencontres (Conclusion? Ouverture?)
b. Le malaise du poète, le lyrisme, sa souffrance
I. La permanence du spleen chez le poète dans un Paris en pleine transformation
Le premier mouvement est fondé sur une opposition avec le «mais». Ce quatrain est constitué d'une phrase, mais on observe cependant 2 points d'exclamation, qui traduisent l'expression d'un sentiment et la présence de l'auteur (exprimée par 3 occurrences de la 1ère personne, qui plus est). Le présent a une valeur durative, répétitive, malgré une exception: «n'a bougé» (v. 2), du passé composé. Le poète s'inscrit dans Paris, conformément aux «Tableaux Parisiens», qui montrent une partie de Paris. Il y a une dimension historique précise puisqu'on fait allusion aux travaux d'Haussmann. Le thème est celui du changement, avec une énumération au vers 2. Tout le reste relève du Paris d'autre fois (permanence). «allégorie» (v. 3) rappelle le vieux Paris et provoque la mélancolie (avec qui elle rime), l'humeur noire, le spleen, le mal-être, l'exil. Le vers 32 développe d'ailleurs plus ce mal-être que le changement. Le poète est en effet attaché à son passé, qui peut être lourd, pesant donc pas si heureux que ça.
Le premier mouvement montre donc un poète en exil, avec un registre lyrique, l'ambiance du passé et une certaine universalité: cette expérience peut être partagée par beaucoup.
II. Les différentes figures d'exilés
Le poète structure fortement son texte, notamment avec le lien de cause/conséquence instauré par le «Aussi» La méditation est donc très structurée, sur 4 quatrains constituant 2 phrases, par 2 fois 3 compléments (3 précis puis 3 imprécis). Les 3 premiers, le cygne, Andromaque et la négresse sont décrits chacun par un quatrain et sont tous différents: il y a un animal, un personnage fictif et une rencontre dans la ville moderne.
Le cygne est «ridicule et sublime» (v. 35), ce qui est une oxymore. Ainsi, ce cygne rappelle l'albatros. «Désir sans trêve» (v. 36) montre que le poète prête au cygne des aspirations élevées. L'oiseau est présenté comme contradictoire, mais avec un idéal, il est donc humanisé et assimilé au poète. L'enjambement permet de le lier aux autres figures.
Andromaque, elle, est une rencontre littéraire. Le «superbe» v. 38 signifie «orgueilleux», tandis qu'il signifie «magnifique» v. 43. Baudelaire utilise donc un langage soutenu, qui rappelle les tragédies de Racine. De plus, l'ordre des mots est bouleversé et non par besoin de trouver des rimes. Andromaque appartient à la mythologie, elle est hors du temps.
La négresse représente une figure particulière, c'est l'exilée par excellence. Elle est décrite par des adjectifs et des participes apposés: amaigrie et phtisique (tuberculeux), décrivent son physique déplorable, montrant son malheur. Cette négresse se trouve dans un paysage parisien mais elle cherche l'africain, ce qui mène à un jeu d'opposition entre ces deux lieux. On observe deux métonymies qui s'opposent, dont l'une remplace l'Afrique par les cocotiers et l'autre, Paris par la boue et le brouillard. Ce triste paysage est non seulement géographique mais aussi mental, il inspire le spleen ressenti par le poète, traduit son état d'esprit suite à son exil parisien. Au contraire, l'Afrique est présentée comme superbe, très belle, splendide: c'est un idéal. La négresse rêve de l'Afrique, au vers 43 grâce à un chiasme, une symétrie (notons que les adjectifs peuvent être permutés). La négresse est contemporaine. Cette femme représente le malheur extrême.
Puis, arrivent 3 compléments imprécis dans le dernier quatrain, tous humains et masculins: «à quiconque» (indéfini, singulier), «à ceux» (indéfini, pluriel), «aux maigres orphelins» (un peu plus précis, pluriel). Ce sont des expressions plus générales, plus vagues, qui concernent tout le monde, chacun peut s'y reconnaître. Les 3 phrases sont exclamatives, il y a donc une dimension affective. Baudelaire insiste ici sur les exilés qui ont perdu quelque chose. Les enjambements et l'absence de répétitions évoquent une perte irrémédiable. Les exilés se caractérisent par les larmes (pleurs est à la rime), la douleur, associée à une image antique: la Louve. Cette métaphore expliquerait alors les orphelins (Romulus et Rémus), qui rappelle la culture antique. On trouve une 2nde métaphore au vers 48: «séchant comme des fleurs», qui marque le comble de l'exil: il n'y même plus de larmes pour exprimer sa douleur, et la fin de l'énumération.
Ces 6 figures, précises ou imprécises, sont des alter ego du poète, qui se reconnaît dans chacune d'elles (rappelons qu'il a été orphelin de père à 6 ans). Le «Je pense à», exprimé au vers 34 et 41 montre sa projection. Ainsi, Baudelaire parle des autres pour exprimer ce qu'il ressent.
III. Une forme de conclusion?
Le «Ainsi» nous pousse à nous interroger: avons nous affaire à une conclusion, le «Ainsi» signifiant «Puisque j'ai posé toutes les figures d'exilés»? Nous retournons dans le lyrisme avec 2 phrases exclamatives et un «je» dominant. Après une pause, la même structure reprend donc (avec qui plus est la reprise du «Je pense à»). V. 49-50, il y a une expression métaphorique du poète, qui compare l'activité mentale à une forêt. Il rappelle par ailleurs ce qui a déclenché cette méditation sur les exilés, ce qui renvoie à la scène initiale. C'est souvent une sensation visuelle ou auditive qui déclenche un poème. Le «souffle du cor» ramène à la Chanson de Roland. Puis, v. 51-52, on trouve 3 (chiffre parfait) + 1 compléments, dégageant une idée d'ouverture plutôt que de fermeture. On repart sur des noms masculins pluriels, précis ou non, avec Ulysse (et encore de la mythologie) ou Robinson Crusoé. Les captifs et les vaincus font référence à Andromaque et Hugo. «A bien d'autres encor» inclut le poète: après avoir évoqué beaucoup d'autres gens, il renvoie à lui-même. On peut voir ça comme une dédicace finale.
Ce dernier quatrain présente donc une réflexion en 2 temps.
Conclusion
Ce poème montre une ouverture au monde, caractéristique des Tableaux Parisiens des Fleurs du Mal. Le poète va à la rencontre des autres, dans la rue ou dans son esprit, en les évoquant. Il est en sympathie (partage les souffrances, étymologiquement) avec eux, car chaque personne rencontrée est comme lui, exilée de Paris. Ainsi, le poète leur prête ses sentiments: son spleen entrainé par les transformations de Paris.
Au final, l'inspiration du poète vient de la rencontre dans la ville moderne. On est bien dans une sorte de Tableau Parisien. Après une rencontre, il y a tout un travail de réflexion et d'écriture: il transforme le monde par l'écriture poétique.