A Une Passante
Introduction
C'est un poème tiré des Tableaux Parisiens, placé sous le signe de la modernité. Des 18 poèmes de cette section, c'est un des 3 sonnets (avec «Les Aveugles» et «Brumes et Pluies»). Il est écrit en alexandrins.
Sujet: Le poète traite un thème traditionnel dans le cadre des Tableaux Parisiens: celui de la rencontre et du coup de foudre. C'est une scène de la vie parisienne, unique et fugitive. Ce poème s'inscrit parfaitement dans la problématique de la modernité car il illustre tout à fait sa définition. Exemple typique: «hurlait» rime avec «ourlet», ce qui n'est pas classique puisque l'écriture diverge.Le poète fait l'éloge de la beauté de la femme (vieille tradition), à peine entrevue. Il rêve d'un amour qui aurait pu exister. Ainsi, et de par son titre, ce poème est une dédicace à la femme aimée.
Baudelaire admire le peintre Constantin Guys.
Problématique: Comment ce sonnet relève de l'esthétique de la modernité, telle que Baudelaire la définit dans Le peintre de la vie moderne ?
Plan:
I) La rencontre fugitive d'une femme, un tableau parisien
II) Les conséquences de la rencontre
I. La rencontre fugitive d'une femme, un tableau parisien
a) La rue
On plante un décor urbain, avec le thème de la ville, ainsi que les termes «assourdissante» (v. 1) et «hurlait» (v. 1). Le tableau n'est donc pas visuel mais sonore. On évoque les bruits pour parler de la ville, c'est un trait de modernité. Hurler indique par ailleurs un bruit plus puissant qu'assourdissant, il y a donc une gradation. L'imparfait a une valeur durative qui indique que le bruit dure, se répète. La première personne montre la place du poète, au centre de l'organisation. On va donc avoir le récit d'une expérience personnelle.
b) Une femme
Le sujet est formulé au vers 3: «Une femme passa». Du vers 2 au 5, ces 4 vers décrivent la femme, par une seule phrase donc avec des enjambements systématiques, y compris du 1er au 2nd quatrain. «Passa» (v. 3) est au passé simple, ce qui implique une action brève, passée, révolue. Le sujet renvoie au titre (même famille de mots). Cette longue et unique phrase bien rythmée par de nombreuses coupures soulignées par de nombreuses virgules de description de la femme comporte tous types de mots: adjectifs, groupes nominaux prépositionnels, participes présents. Tout est fait pour décrire et étirer la description. La femmes est décrite par son allure générale, sa silhouette, par des éléments objectifs et subjectifs. Une «Jambe de statue» (v. 5) est mince et parfaite, il y a donc ici une éloge de la beauté plastique, qui marque une distance. La douleur majestueuse est apposée à «en grand deuil», commentaire du poète. Il est attiré par la douleur qui émane de cette femme.
c) Moi, je
Le poète parle de lui avec insistance. «buvais» (v. 6) est un imparfait duratif, dont le COD est le vers 8. Il se compare à un fou (extravagant). Il y a un contraste entre l'auteur, qui est décrit par de imparfait, et la femme, qui passe vite. On note de la subjectivité ici puisque la scène s'est déroulée rapidement mais le poète la ressent comme durable (son souvenir semble très long).
La femme est définie par un regard, qui a une dimension importante chez Baudelaire. Ce regard est toutefois contradictoire et changeant (v. 7-8). L'oeil de celle-ci est comparé à un ciel livide où germe l'ouragan, métaphore mettant en avant l'aspect précédemment cité: il est calme mais c'est trompeur puisque l'ouragan se prépare. Le présente est omnitemporel, il marque une permanence.
Cette rencontre avec la femme se transforme en l'expression de l'idée de la femme en général, chez Baudelaire. On retranscrit la réalité, malgré le fait que le souvenir du poète dure tandis que la rencontre fut très rapide.
II. Les conséquences de la rencontre
Comme toujours dans un sonnet, le vers 9 est le vers pivot, il marque un changement, le moment fatidique s'y déroule: le coup de foudre. L'écriture change (?, !, beaucoup de virgules), tout comme l'énonciation: le poète s'adresse désormais à la passante, qu'il tutoie. Les vers 9-10 et 14 s'adressent à la passante, avec chacun une apostrophe qui rappelle le titre. V. 9-10, le langage est courant, v. 14, il est soutenu (j'eusse aimée = j'aurais aimée).
a) L'expression du coup de foudre
Le coup de foudre est exprimée dans le 1er hémistiche du vers 9. Le moment important du texte ne peut être formulé par des mots. L'éclair est une métaphore du coup de foudre, qui souligne la rapidité. La nuit suggère l'absence: la femme est passée. Le poète entame alors une série de questions et de réponses.
b) Les questions
La question est précédée par une apostrophe (la femme est une silhouette, un regard). Cette rencontre suscite un espoir extraordinaire et excessif. La rime renaître/être met en avant le caractère existentiel de cette rencontre. Le fugitif (v. 9) s'oppose à l'éternité (v. 11). La rencontre représente la modernité esthétique du poète. Bien que cette rencontre ait été fugitive, elle a été immortalisée par le poète, qui se retrouve alors seul, dans un état de spleen.
c) Les réponses
Il y a une succession de réponses, qui rythme le dernier tercet, par des saccades: 2-4-2-4. On note l'importance accordée au terme «jamais», toutefois nuancée par le «peut-être». V. 13, le parallélisme au point de vue de la grammaire et du sens (le je/tu, tu/je est par ailleurs un chiasme) exprime un rapprochement mais un rapprochement impossible (menant donc à la solitude), accentué par la symétrie du vers 14. Le poète est dans l'hyperbole, l'illusion insensée, l'excès puisqu'il imagine que cette rencontre aurait pu transformer sa vie. Il prête à la passante cette force. L'auteur développe dans ce poème l'espoir de la rencontre, le bonheur de rencontrer l'autre.
Conclusion
On est dans le thème des Tableaux Parisiens: la rencontre dans la ville, qui est ici amoureuse, fugitive et brève. C'est une expérience douloureuse, décevante. C'est un thème traditionnel donc non original mais cependant renouvelé, modernisé grâce au concept de la modernité (furtivité et éternité). Le poète s'inspire de la réalité des rues de Paris. Le poème fait donc bien partie des Tableaux Parisiens, transformant la réalité par l'écriture poétique et l'imagination.
Ce poème fera l'objet d'une réécriture en prose: Le Désir de Peindre.