Candide ou l'Optimisme
Introduction
Écrit par Voltaire et publié en 1759, ce conte philosophie est, par son sous-titre, une critique de Liebniz et de ses Essais de théodicées de 1710. Voltaire est en effet hostile à cette philosophie, qui lui paraît stérile. Il se place lui sur un plan pratique tandis que Liebniz se place sur un plan théorique et philosophique: l'univers créé par Dieu est imparfait mais cependant excellent puisque Dieu a tout de même crée le meilleur des mondes possibles. Pour Liebniz, tout n'est pas bien, mais le Tout est bien. Le cas général est donc différent du cas particulier, le bonheur collectif différent du bonheur individuel.
Sujet: On a ici affaire à un chapitre de conclusion dans lequel Candide, après de multiples aventures, s'installe en Propontide, près d'Istanbul, dans une métairie. Seul Cacambo travaille (puisque c'est le valet) dans cette société composée de 8 personnages. Tous s'ennuient, Candide s'interroge alors sur le bonheur, il se demande comment être heureux sur Terre. Pourquoi l'Homme a-t-il été crée? Le problème du bonheur se pose depuis le chapitre 1.
Ce texte est un extrait de conte philosophique qui présente un passage narratif mais aussi des idées, mises en scènes par le récit, dans le but de plaire et instruire. Nous sommes dans l'apologue. La question du bonheur trouve ici sa réponse, à travers plusieurs points de vue.
Plan :
I. La conclusion d'un conte philosophique
II. Le récit de trois solution pour être heureux
III. La solution de Candide: le sens du jardin
I. La conclusion d'un conte philosophique
a) Temps et lieu
De nombreux détails dans le conte indiquent qu'il est contemporain (et non traditionnel) mais il n'y a pas de repères dans le passage, ce qui est typique du conte philosophique. Le lieu est cependant précis: ce passage se déroule explicitement en Turquiiiiiie (Constantinople), l'action est bien située. La Turquie et l'Orient sont à la mode et font rêver au XVIIIème, grâce aux Mille et une nuits, traduites au début du siècle par Antoine Galland et ayant eu un succès fou.
C'est ici une leçon de relativisme: on observe naïvement l'Orient pour critiquer l'Occident et la France. Candide s'installe en Orient puisque le bonheur n'est possible que là bas. On critique ainsi la vieille Europe.
b) Personnages
Candide explique qu'il arrive à trouver le bonheur dans une métairie. C'est le personnage principal mais il n'est pas seul: le bonheur n'est possible que dans une société choisie (ici composée de Candide, Pangloss, Martin, Cacambo, Cunégonde, la vieille, père Giroflée et Paquette). Ils sont 8 au total, le baron n'est pas là puisqu'on l'a tué, il ne faisait pas partie du bonheur et incarnait les valeurs que combat Candide, soit la vieille aristocratie. L'absence du baron est donc symbolique: le bonheur n'est pas possible si les gens ont des préjugés semblables aux siens.
Les personnages ont cependant changés, ce ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux du chapitre 1: Candide s'écarte un peu des valeurs de Pangloss, Cunégonde est devenue laide, ce qui est humoristique car elle était une femme fatale. Cependant elle est sauvée puisqu'elle est une «excellente pâtissière» Le vieille n'est pas individualisée mais appelée par une caractéristique. Paquette n'a pas changé mais Giroflée «même devint un honnête homme». Le «même» insiste sur l'ironie de la chose. Cacambo est resté un honnête serviteur, Martin un opposant à la philosophie de Pangloss et Pangloss... Pangloss. Ces trois personnages ne changent pas car ils représentent une idée.
Ainsi, les personnages changent peu ou ironiquement, excepté le héros. Ceci s'oppose aux contes traditionnels, dans lesquels le héros ne changent pas. L'auteur se moque un peu de ses personnages, sauf de Candide, qui est valorisé par son évolution positive.
II. Le récit de trois solution pour être heureux
Un conte philosophique met en récit des idées, ici 3 solutions pour être heureux. Ces 3 solutions correspondent à 3 mouvements:
Les idées du derviche, exposée dans le 1er paragraphe, de taille moyenne, 17 lignes, au discours direct. Candide est tel un petit garçon, il parle peu, contrairement au derviche et à Pangloss. Le derviche représente Liebniz.
Les idées du vieillard, occupant le 2nd et le 3ème paragraphe, plus développées, sur 30 lignes.
Les idées de Candides, dans le 4ème et 5ème paragraphe, prenant 45 lignes.
Ces parties ne sont pas sur le même plan: la première est rapide, la seconde plus développée et la 3ème inspirée par le vieillard. Cet ordre est significatif.
a) Le derviche
Des trois personnages en présence c'est Pangloss qui parle le plus, ce qui est paradoxal puisque c'est eux qui sont venus pour consulter le derviche. Mais celui-ci refuse de parler, il est désagréable.
Il se pose une question majeure, qui est d'ordre métaphysique (pourquoi l'Homme a-t-il été créé?), amenée au discours direct. Mais cette question ne trouve pas de réponse. Le derviche refuse de? répondre en posant des questions (3 courtes puis une longue) et s'exprime assez familièrement et particulièrement. En effet, il use d'une métaphore, dans laquelle Sa Hautesse désigne Dieu, les vaisseaux désignent la Terre et la société et les souris désignent les hommes. Ainsi, les hommes sont insignifiants tandis que Dieu est placé très loin, très haut. C'est dévalorisant. Dieu ne s'occupe pas des hommes.
La métaphysique n'apporte donc pas de réponse au problème posé, cette question du bonheur dépasse l'Homme (˜ livre blanc de Micromégas) Il faut aller chercher la réponse autre part, la religion n'apporte pas le bonheur.
b) Le «bon vieillard»
Cet homme est différent du derviche en tout point, notamment au niveau de sa sympathie. Il parle pendant un long paragraphe, puis un très court. Le discours direct est ici aussi très présent mais il s'équilibre avec le récit. Le vieillard répond à la question longuement et très précisément. Pangloss et Candide parlent aussi, bien que le discours indirect avec lequel est posé la question efface Pangloss, sa parole est incluse au récit, contrairement à avant.
Ce discours est charmant puisque l'on a une énumération de produits et fruits exotiques, alors inconnus au XVIIIème siècle, ce qui ajoute à l'exotisme du texte, envoute le lecteur. Le vieillard accueille ses visiteurs généreusement, selon la loi de l'hospitalité, contrairement au derviche. Il y a des senteurs et parfums orientaux.
Le vieillard développe un point de vue personnel, par rapport à son expérience, qui n'est donc pas autoritaire, il nuance. On ne s'occupe pas de la vie politique ou des horreurs du monde mais bien de son univers personnel. Il vit en autarcie en cultivant assez la terre pour ne pas avoir à acheter. Le paragraphe court qui suit résume les idées et permet à Candide de trouver sa solution. Il s'apparente à une maxime, puisqu'étant très court et au présent de vérité générale.
Le vieillard prône la valeur du travail, qui est une valeur bourgeoise et non aristocratique.
c) Candide
Candide est perplexe, il ne sait par qui être influencé: «Candide fit de profondes réflexions», puisqu'il a été soumis à 2 situations totalement opposées: un derviche abstrait contre un bon vieillard prônant le matériel. Finalement, Candide prend le parti du vieillard, après s'être interrogé longuement. Il a évolué. Il y a toujours une alternance entre le discours direct et indirect, mais le direct l'emporte. Pangloss parle le plus, il est fidèle à son nom, ne cesse de parler. Il fait une longue énumération de rois morts au pouvoir, en critiquant les dangers de celui-ci. Cette énumération est un morceau de bravoure (passage long et brillant). Il montre sa culture dans le but de plaire. Puis, il énumère toutes les aventures de Candide, ce qui sert de résumé. Ainsi, Candide ne parle que très peu mais c'est le continu qui compte et non la quantité et coupe Pangloss (2 des 3 répliques), ce qui montre son évolution: il n'écoute plus Pangloss. Puis il formule sa solution personnelle pour accéder au bonheur, à deux reprises, ce qui est répétitif mais pédagogique.
III. La solution de Candide: le sens du jardin
a) La signification première de cette formule
Elle est formulée 2 fois au discours direct par Candide, par une maxime qui rappelle à celle du vieillard: «Il faut cultiver notre jardin», bien que plus courte. C'est un ordre adressé à une majorité, un cas général. Elle est d'abord à prendre au sens propre: il faut arriver à vivre, à assurer sa vie matérielle grâce à la Nature. Bonheur et Nature sont liés. C'est une solution très terre à terre, qui s'oppose par là même à la métaphysique: Candide a renoncé aux idéaux e à la philosophie de Pangloss. Il parle mais ne travaille pas: travail et parole sont différents. C'est une solution pragmatique, ancrée dans la réalité.
Cette solution est inspirée des physiocrates (économistes du XVIIIème, comme Turgot ou Condorcet) qui voyaient dans l'agriculture la source essentielle des richesses, préconisant une économie libérale qui favoriserait le développement de l'agriculture.
b) Le sens symbolique
Il y a 2 sens:
-Le jardin peut être pris comme un terroir intime, dans lequel chacun a sa place et développe au mieux ses capacités, dans l'intérêt de la communauté, c'est un bonheur non égoïste: il faut développer des compétences pour aussi trouver sa place (Cunégonde s'occupe de la cuisine, Paquette du linge..)
-Le jardin rappelle le bonheur idéal de Thunder-ten-Tronckh, de l'Eldorado, de l'Eden, tous des endroits repliés, coupés du monde, des refuges, où le Mal est absent. Cela rappelle une utopie mais ce n'est pas le cas puisqu'on est dans la réalité. Candide n'est plus dupe de ses illusions. C'est la fin d'un conte philosophique et non d'un conte de fées: on trouve une solution pas formidable mais réalisable.
Conclusion
C'est la clôture du récit des aventures de Candide mais surtout de sa quête philosophique: il a trouvé sa voie personnelle, peu exaltante mais raisonnable pour arriver à trouver le bonheur sur Terre. C'est une idée loin de la religion et de Pascal.
Le jardin a deux sens: la raison, le progrès, le bonheur, 3 mots-clés du siècle, qui servent à remettre en question toutes les idées admises jusque là, à prendre ses distances par rapport aux valeurs religieuses. Les hommes sont en passe de faire des progrès dans tous les domaines.