Lux
Introduction
Écrit par Victor Hugo, poète engagé, et tiré du recueil Les Châtiments (1853). Ce recueil est écrit dans un contexte politique particulier, durant l'exil de l'auteur. Hugo fait office de chef des opposants à Napoléon III.
Le poème est composé de 6 sizains, construit chacun par 4 alexandrins (rimant entre eux, par rimes suivies, a et c) et 2 hexasyllabes (rimant entre eux par rimes embrassées, b), selon la forme aabccb
On n'a ici qu'un extrait (la 5ème et dernière partie) de ce très long poème. (Les auteurs romantiques aiment les longs poèmes)
Le titre, «Lux» (lumière), est symbolique et s'oppose à «Nox» (nuit), titre d'un poème se trouvant au début du recueil.
Sujet: Hugo prophétise un avenir heureux, ainsi que la fin de la tyrannie.
On relève un registre lyrique: expression des sentiments, généralement à la 1ère personne, avec des phrases marquant l'émotion (?/!) et un vocabulaire des sentiments lié à la sensibilité individuelle (ici, l'amour de la patrie) et au développement d'un avenir heureux, avec l'espérance politique. Il y a de plus une présence la Nature et une dimension religieuse.
Mais il y a aussi des traces du registre épique, pas dominantes mais tout de même présentes: combat entre le Bien et le Mal, combat entre Lux et Nox, relève d'un groupe.
Épopée s'adresse au peuple ? Lyrisme, individuel.
Le lyrique et l'épique se retrouvent dans la dimension d'universalité (voir la préface des Contemplations)
Quand le poète parle de lui, il parle aussi de tous les hommes.
Problématique: Comment l'écriture poétique (avec le registre lyrique et épique) se met au service d'une cause?
Plan:
I. Un poème engagé
II. Le registre lyrique
III. Un poète prophète
I. Un poème engagé
a) Le contexte politique
Le contexte politique est connu des contemporains: tout est implicite et allusif.
«Bannis ! Bannis ! Bannis !» (v.1) : apostrophe qui expose une triple répétition exclamative. Insistance, commence par 3 fois 2 syllabes.
Pluriel: Hugo parle des tous les bannis de leur pays natal, exilés de leur volonté ou non, c'est impersonnel.
V. 31: «exil»; v.7, on parle du pays dans lequel on est; v.13: «tyrans», cela évoque pour les bannis Napoléon III mais c'est allusif.
On a ici un pluriel poétique, qui généralise pour éviter une situation trop précise. Il y a donc une volonté d'élargir.
V. 4 et 7, les champs lexicaux sont opposés, avec 2 expressions de 4 syllabes au début du vers qui s'opposent: «les jours mauvais» (= tyrannie) VS «les temps heureux» (= avenir)
Le contexte politique est donc claire, même si il est allusif et implicite.
b) La situation d'énonciation
Je + Nous + Vous (+ Ils)
Le poète écrit depuis l'île de Jersey et dit «je» très explicitement, v. 19, faisant ainsi part de sa présence. C'est le seul vers où le poète s'exprime mais il le fait de façon insistante: 2 structures grammaticalement identiques occupant chacune un hémistiche et avec un côté oral. Le «vous» s'adresse aux bannis du v. 1, il s'adresse à eux de façon simple et directe.
Mais à certains moments, il ne s'adresse plus à eux, comme des v. 1 à 12, où il parle des bannis de façon générale, avec «ils».
Le poète tend à s'identifier aux bannis, il s'inclue peu à peu dans le groupe, le «je» se confondant avec le «vous», qui donneront naissance au «nous» de la dernière strophe.
V. 32: «martyr» témoigne de l'opposition
V. 16, le «nous» désigne le poète + tous les hommes, les opposants.
On remarque aussi une union dans la mort.
Le poète a un langage allusif et poétique pour servir sa cause, suffisamment clair, même sans citer Napoléon III. Il s'inclue manifestement dans les bannis, il est engagé et marque clairement son clan.
II. Le registre lyrique
a) Une écriture de l'émotion, affective
Le poète exprime des sentiments grâce à de nombreux procédés lyriques:
- Phrases exclamatives: v. 1, 6 (discours direct), 18, 4ème strophe: nombreuses phrases exclamatives nominales courtes mettant en valeur les mots.
- Apostrophe v. 23, le ! séparant l'alexandrin en deux temps, hémistiches, avec le «Ô» littéraire et emphatique (qui grandit)
- Vocabulaire affectif traduisant des sentiments: «joyeux» v. 5, «heureux» v. 7, «plus fiers, plus beaux» v. 33. Ces termes s'opposent aux tyrans et au malheur.
b) Le poète parle au nous de tous / Du singulier à l'universel
Le poète évoque ses sentiments et parle au nom de tous, c'est le lyrisme du texte.
Le poète étant lui-même un banni, il exprime ce que tous ressentent (cf. intro)
V. 1 + il ne parle qu'une seule fois de lui: il a moins le souci de sa personne que des banni, de tout les peuples: v.7: «non pour la seule France», v. 26: «couvrant l'Europe et couvrant l'Amérique», v.8: «Mais pour tous», rejet mettant en valeur le principe de l'humanité.
On est bien dans le lyrisme et le souci d'évoquer le peuple français mais aussi mondial, avec aussi un côté épique. Ce poème a une dimension très large, un sentiment de liberté et de bonheur exaltés.
III. Un poète prophète
a) L'avenir
Les verbes sont pratiquement tous au futur: il y a une dimension de l'avenir.
Opposition entre présent malheureux et avenir plein de bonheur.
On ne sait pas quand cet avenir va arriver, mais on espère qu'il sera proche.
L'auteur emploie le futur de l'indicatif, ce qui montre que l'avenir sera à coup sûr radieux. Cet avenir est décrit avec des images et un jeu d'oppositions.
V. 2-3: métaphore d'1,5 alexandrin avec une opposition entre «apporta» (passé simple) et «sera» (futur), ainsi qu'entre «flux» et «reflux», qui évoque la marée (4 à 6 heures) qui se passe dans une journée (mot à la rime). Cela indique la rapidité avec laquelle se fera le changement de la tyrannie à la liberté.
V. 10: bonheur heureux. L'avenir passe par la paix: v. 29 «colombes». Colombes est au pluriel alors qu'une seule suffit, il y a redondance
Mais la paix s'accompagne aussi du jour, associé à la lumière, d'où le nom du poème, Lux: v. 13, 21, 30 (? même ce qui est sombre sera éclairé)
On note la présence de la Nature, comme dans tout texte lyrique, v.25.
Il est développé l'idée que l'Humanité va être dans une dynamique de progrès continu vers le bonheur et la liberté.
L'avenir radieux est exprimé largement, par des verbes, des métaphores, des symboles connus et tout un réseau d'images. Beaucoup de ces éléments du futur radieux sont liés à la religion (Dieu) et à la spiritualité (Ciel)
b) La vision politique et religieuse
V. 15, la lumière porteuse d'un bel avenir vient du ciel. Dieu er la Nature sont liés à cet avenir.
Cette vision politique et religieuse chère à Hugo se retrouve aux v. 17, 18, 23, 24 et 25
V. 16: «gouffre» représente la situation politique actuelle, tyrannique. Mais le salut viendra par les hommes et Dieu. C'est ce qu'on voit v. 17 et 18, avec les deux expressions par allèles de 6 syllabes chacune. Chez Hugo, la démocratie repose donc sur la fraternité des humains et la paternité de Dieu. En effet, Dieu étant le créateur du monde, il a droit à l'autorité. Donc aucun homme ne peut prétendre à l'autorité sur un autre homme. Ainsi, la paternité de Dieu empêche la monarchie et fonde la démocratie.
Le poète a un statut à part, il est comme un prophète car quand il annonce et dit quelque chose, c'est comme s'il le faisait. Il a donc un rôle extraordinaire, au dessus des hommes, inspiré par Dieu.
Ce texte a une valeur performative. La parole est acte.
Le poète annonce l'avenir aux hommes et tient cette connaissance de Dieu. C'est là la conception d'Hugo de la poésie.
Le poète guide les hommes vers un progrès politique et religieux.
Cette mission passe par la parole poétique, qui a une telle force qu'elle fera changer le monde et les hommes.
Le prophète étant celui qui parle au nom de Dieu, le poète se met au dessus des hommes, juste après Dieu.
V. 23, Hugo sent une présence divine dont il se fait l'interprète et qui permettra plus de bonheur sur Terre.
V. 22: «serf», terme du Moyen-Âge, et «prolétaire», beaucoup plus moderne. C'est une vision sociale étonnante.
Hugo croit à une résurrection des bannis, qui terminent la dimension religieuse. Tous seront réunis dans la mort, où ils se réveilleront (v. 35)
Il y a donc une évolution du gouffre obscur (v. 16), au tombeau puis à la résurrection et à la lumière (v. 35-36)
Conclusion
Cet extrait porte sur un sujet politique: les bannis par Napoléon III, qui était d'actualité au moment de l'écriture. Le poète s'exprime en son nom et parle au nom de tous les bannis, voire de tous les hommes en utilisant un registre lyrique et épique. Le poète donne une dimension exceptionnelle aux bannis. Ces opposants, l'Humanité qui souffre et tous les hommes connaîtront un avenir radieux. Le poète a ici un rôle de prophète annonçant l'avenir qui guide les hommes vers un progrès spirituel et social. Sa mission passe par la parole poétique.