TEXTE II : Le Chat, La Belette et le petit Lapin - Jean de La Fontaine
Introduction
Extrait de Fables de Jean de la Fontaine, Livre VII, n°16, recueil des livres VII à XI publié en 1678
Ce sujet inspiré de l'indien Pilpay, des traditions médiévales et de Rabelais (XVIème siècle)
Sujet: Texte en rime et avec l'hétérométrie habituelle (octosyllabes et alexandrins) et une variété de rimes: suivies v. 1-2, embrassées v. 4 à 7, croisées v. 42 à 45.
Le récit est l'affrontement d'un lapin et d'une belette: la belette, fourbe et intelligente, vole la maison du lapin alors que celui-ci n'était pas là. La belette est contre les lois, et le lapin essaye de les faire appliquer. Pour trancher, il font appel à un juge: le chat, décrit comme étant hypocrite. Le chat les bernent et les mangent (retournement de situation)
Problématique: Comment le fabuliste parvient-il à rendre gaie une histoire qui finit mal, et ce, tout en faisant passer un message ?
Plan:
I. Caractéristiques du récit
II. Une scène pittoresque et gaie
III. La leçon
I. Caractéristiques du récit
a) Temps et lieu
Comme toutes les fables, elle n'a ni temps, ni lieu précis: uniquement un hémistiche au vers 2: «un beau matin» pour le temps. L'action se déroule néanmoins dans le passé, comme le montre les passés simples: «s'empara» (v. 3), «fut» (v. 4), le plus que parfait: «avait mis» (v. 10) et le passé antérieur: «eut brouté». On note cependant au vers 3 un présent de vérité générale («est») pour avoir une valeur intemporelle et universelle.
b) Action
V. 1 à 7: Récit, la belette s'empare du logis du lapin
V. 8 à 15: Récit au discours direct, le lapin arrive
V. 16 à 24: Conflit. Argumentation de la belette: discours indirect puis indirect libre
V. 25 à 29: Conflit. Réponse du lapin. Discours narrativisé puis discours direct
V. 30 à 31: Intervention d'un tiers. La belette demande un arbitre. Discours direct
V. 32 à 45: Intervention d'un tiers. Arrivée du chat, description puis discours direct puis récit
V. 46 à 47: Morale
Il y a donc une grande variété de procédés de narration, de forme de récit (discourt direct, indirect, indirect libre). Mais le récit se fait surtout avec les dialogues du Lapin et de la Belette, d'ailleurs il y a un débat entre les 2 personnages dans lequel chacun donne ses arguments de manière construite. Cette alternance de style font que le lecteur ne s'ennuie pas et évite les effets de monotonie.
c) Personnages
Il n'y a pas 2 mais 3 personnages, ce qui est inhabituel:
La belette: elle est rusée, active (rejet v. 3), mais naïve à la fin
Le lapin: v. 1: il est jeune donc naïf, inexpérimenté. C'est un courtisan (rime cour/jour v. 6) et se retrouve doublement victime (de la belette et du chat)
Le chat: C'est le premier du titre, c'est lui qui aura le dernier mot. Il est le maitre de la tromperie, l'hypocrisie incarnée, le juge malhonnête. C'est lui qui crée le retournement de situation surprenant les personnages mais aussi le lecteur.
II. Une scène pittoresque et gaie
a) Portrait des personnages par jeux de mots
La belette: expressions raffinées: «Dame» (v. 2), terme noble, «Palais» (v. 1) qui a un coté burlesque car c'est une hyperbole pour parler du terrier. On utilise aussi des périphrases (v. 16, 10) faisant référence à des clichés humains pour amuser le lecteur.
Le lapin: «Jeannot» (v. 9), «Jean» (v. 25, 36), il y a une déclinaison de son nom. Jeannot est une transformation familière et amicale de Jean. V. 7-8: le personnage est actif, grâce à l'énumération et aux assonances. Il y a une mise en valeur de la Nature.
Le chat: Son portrait est particulièrement élaboré. Même si c est un chat, il agit comme un Humain et est assimilé à un juge, très hypocrite. On passe de chat à chatte avec «chattemite», qui le rend faussement doux. Le mot «fourré» couvre également deux sens. Ce chat fait référence à un personnage de Rabelais: Raminagrobis ainsi qu’à Tartuffe, deux noms connotés et littéraires, comiques. Pour finir le «gros et gras» implique qu'il mange bien, cela annonce la mort de la belette et du lapin.
b) Langage des personnages
Le chat parle peu, v. 39 il utilise une apostrophe affective «mes enfants» qui le montre protecteur, paternel. Il est assez lent, ce qui change le rythme de la fable, afin de mieux introduire le retournement de situation.
Au contraire, la belette et le lapin parlent beaucoup. Mais ils agissent peu tandis que le chat parle peu, apparait peu, mais c'est lui qui agit le plus.
Le lapin utilise un langage très solennel et est grandiloquent, avec des références aux Dieux (v. 5, 11). Il essaie de se défendre dans le conflit en imitant la belette mais il est moins à l'aise.
Le belette, elle, a un langage élaboré et juridique (rime loi/octroi/moi) ce qui renforce l'effet burlesque de la chose car cela crée un effet comique et gai. Elle fait aussi une énumération de prénoms, qui généralise son cas.
De plus, ce conflit juridique est traité par des jeux de langage et résolu par le chat de façon amusante alors que la belette et le lapin étaient très sérieux.
III. La leçon
a) Relation entre le récit et la morale
Le récit évoque un problème de territoire entre 2 animaux. On fait appel à un juge, le conflit est donc d'ordre juridique.
Puis on parle des humains, au pluriel donc c'est imprécis. Ils ont eux un problème social et politique. La morale fait une sorte d'élargissement du sens du problème, tout en étant succincte et elliptique. Cette moralité est cependant mesurée (fort / parfois) mais efficace. Le fabuliste ne fait ici que montrer un comportement humain, sans donner de leçon.
b) Problème juridique
C'est un thème complexe et important, qui sera repris par Rousseau au XVIII. Ici, le problème est suggéré de manière très simple, la fable étant l'art de traiter un sujet difficile en le rendant accessible à tous.
La belette et le lapin sont ici opposés:
La belette, avec le rejet du v. 3 accomplit une action violente et interdite, avec l'enjambement des v. 16-17 défend sa position, sans loi. Elle est opportuniste, fourbe mais intelligente, hors des lois mais prônant celle du premier arrivé.
Le lapin incarne une 2nde position v. 25 à 29, celle des coutumes et usages. Il défend la notion d'héritage paternel et respecte la loi. Il est naïf et dans la légalité.
Il est exposé ici 2 conceptions différentes de la propriété
L'auteur semble donner l'avantage au lapin par le fait qu’il parle plus longtemps et au discourt direct, le mieux entendu. Il y a une satire de la justice car celle-ci est injuste. On retrouve cette notion dans «L'Huître et les Plaideurs»
c) Problème politique
Il y a tout d'abord une satire de la cour et des courtisans, qui ne s'occupent que de faire la cour au roi (v. 6), thème récurant chez La Fontaine. L'Aurore est divinisée et par métonymie fait référence à Louis XIV, le Roi Soleil. Le lapin perd son logement car il faisait son hommage à la cour.
Puis, il y a une critique des souverains, des petits nobles et bourgeois qui n'arrivent pas à se faire justice eux même et donc font appel au roi. Enfin, il y a une critique du roi (et de la justice) qui est injuste et qui ne pense qu’à ses intérêts par le biais du chat. Le sens de cette morale est donc imprécis, l'interprétation est libre.
Conclusion
La Fontaine fait une brève allusion à cette fable dans «Le Pouvoir des Fables» en tant que récit aux grâces légères, procurant un plaisir extrême par l'intermédiaire des jeux de mots qui rendent le sujet traité gai et amusant. D'autre part, le fabuliste aborde des sujets importants: juridiques et politiques. Le lecteur doit réfléchir, la morale est riche et imprécise: il y a ici une satire de tous les personnages, personne n'est épargné, beaucoup de défauts humains sont montrés du doigt.