Lorenzaccio, Acte II, scène 2
Introduction
On est ici dans le 2ème acte, sur 5. La question de l'identité se pose pour Lorenzo. Il a montré dans l'acte I qu'il s'était mis au service du duc, étant son valet de débauche. Le duc a entièrement confiance en lui mais Cibo s'en méfie, il pense que Lorenzo n'a pas été sincère en s'évanouissant devant l'épée. Ils ont donc tous deux un point de vue opposé. La mère de Lorenzo, elle, est désolée de voir son fils sombrer dans la débauche et oppose son fils actuel à celui qu'il était autrefois (brillant, intellectuel). Cependant, Catherine, pense qu’il a gardé ses qualités d’autrefois.
Mais il y a aussi un problème politique: le peuple florentin éprouve de la lassitude envers la tyrannie des Médicis et les républicains veulent renverser le duc Alexandre.
Sujet: La scène a lieu devant le portail d’une église. C'est une scène de rue, facile à mettre en scène. C'est d'ailleurs la seule scène d'extérieur de l'acte II. Cette scène est relativement longue et se divise en 2 temps, avec 3 personnages sur scène: Tebaldeo, Lorenzo et Valori (cardinal et émissaire du pape). Dans la 1ère partie (absente du texte étudié), les 3 personnages parlent de la conception de l’art, Tebaldeo et Valori (qui veut faire travailler Tebaldeo pour lui) partagent la même. Puis vient un dialogue entre Tebaldeo et Lorenzo, où ce dernier est provocant tandis que le peintre reste calme. Le dialogue se poursuit et se resserre, en présence d'un Valori muet. Tebaldeo répond aux questions de Lorenzo, ils parlent du rôle de l'art dans la société et de l'engagement de l'artiste, chacun par 11 répliques. Puis le dialogue évolue dans des propos plus personnels, Tebaldeo va parler de sa propre vie, c'est un dialogue d'idées. Alors, Lorenzo cherche des contradictions chez Tebaldeo, des failles, il veut troubler ses positions. Mais c'est finalement le peintre qui gagne, impressionnant Lorenzo. Cette scène paraît de moindre importance, bien que certains éléments montrent qu'elle va avoir un intérêt.
Problématique: Quelle est la fonction dramatique de cette scène, qui a au premier abord l'air d'être une digression ?
Plan:
I) Les caractéristiques du dialogue
II) Les idées de Tebaldeo sur l'art et l'engagement de l'artiste
III) L'intérêt de cet échange
I. Le fonctionnement du dialogue
1) Les deux protagonistes
Ils ont des âges à peu près similaires mais viennent de différentes familles: Tebaldeo est un artiste, un homme du peuple alors que Lorenzo appartient à l’aristocratie dirigeante, ce qui lui confère une certaine autorité et supériorité: il tutoie Tebaldeo, qui lui, le vouvoie et l'appelle «monseigneur». C'est d'ailleurs Lorenzo qui conduit le dialogue, puisque 8 de ses 11 répliques se terminent par des questions.
Tebaldeo est au service de la classe dirigeante, de par sa classe sociale et répond aux questions de Lorenzo de façon soumise. Il est au service des Médicis et doit par conséquent leur plaire et leur obéir. Cependant, il a des convictions. Il apparaît comme respectant une morale et il est pieux (contrairement à Lorenzo, qui est immoral et débauché). Tebaldeo est peintre alors que Lorenzo prépare en secret un meurtre. Les deux personnages sont très différents. Ainsi, Tebaldeo semble avoir une forme de sérénité, puisqu'il est sûr de ses positions et parle par images.
2) L’évolution du dialogue
Le dialogue se fait en 4 étapes :
1. Les 5 premières répliques, T1 – T3. Tebaldeo en a 3 et Lorenzo 2. Les répliques sont relativement longues et ont pour sujet la conception de l’art, selon Tebaldeo. Lorenzo écoute Tebaldeo et explicite ses propos puisque le peintre s'exprime par images. Par ces questions, Lorenzo fait en sorte que tout le monde comprenne la conception de Tebaldeo mais il cherche aussi à le prendre en défaut. C'est de la double énonciation. La phrase-clé est que «un peuple malheureux fait les grands artistes». Musset a choisi un dialogue pour éviter un long monologue trop théorique.
2. L3 – T4. 2 répliques. Lorenzo essaie de corrompre Tebaldeo en lui demandant s'il veut être à son service. Tebaldeo lui répond par une phrase-clé: «Je n'appartiens à personne». Cette conversation traite de la liberté de l'artiste. L'échange est très rapide, Tebaldeo s'engage personnellement puis généralise son à tous les artistes: tout artiste doit être libre et indépendant.
3. L4 – L7. 7 répliques. Lorenzo est dans la provocation tandis que Tebaldeo est calme et répond. Il y a beaucoup de répétitions de vocabulaire, celui qui répond réutilise les mots de l'autre. L'ambiance est tendue, avec des espèces de stichomythies et une impression de conflit. Le dialogue commence à «dégénérer».
4. T8 – L11. 8 répliques. Cette partie est plus personnelle, le dialogue évolue de l'art à la vie personnelle de Tebaldeo. Ce dernier se définit comme un artiste et individu DANS et non pas DE la ville. Il décrit sa vie avec un présent de répétition, d'habitude et des répétitions, ce qui montre qu'elle est rangée et s'inscrit dans une certaine routine.
C'est un dialogue plutôt long évoluant de l’engagement de l’artiste, un sujet général, jusqu’à sa vie privée. Tebaldeo se définit comme un artiste florentin non asservi au pouvoir, indépendant.
II. Les idées sur l’art et l’artiste
1) La conception de l’art
3 répliques de Tebaldeo + 1 réplique de Lorenzo, pour préciser, reprendre et commenter la conception de Tebaldeo.
Elle est formulée de manière impersonnelle, avec un présent de vérité générale qui montre la monotonie de la vie. Il apparaît tout de même un «je» à la fin.
Tebaldeo s'exprime avec des images et des métaphores, tout comme Lorenzo (maladie, culture, vent). Cela leur fait un point commun. C'est un langage d'artiste.
Tebaldeo développe l'idée qu'une seule blessure peut rendre malade un corps entier mais de la blessure de Florence vient un remède. L'art est une fleur divine, un cadeau de Dieu et se développe grâce au Mal et au malheur. Ainsi, les pays sans tyrannie ou corruption ont parfois des artistes brillants mais ils ne sont qu'éphémères.
L’art le plus beau est produit par la souffrance. C'est une vision romantique: le Mal engendre la création, c'est une source d'inspiration.
2) La place de l’artiste dans la société
Cette idée développée par Tebaldeo est présente dans la 2nde et 4ème partie du dialogue; l'artiste n'est au service de personne, il est libre et indépendant. L’artiste n’est pas riche, il refuse d’appartenir au pouvoir et n’est pas non plus attaché à quelqu’un. Et bien qu'ils vivent normalement grâce au mécénat, pas Tebaldeo, comme en témoigne son pourpoint usé.
C’est un simple citoyen qui fait son travail, se consacre à son art. Il est retiré des honneurs, l'artiste est un artisan. Tebaldeo ne s'engage pas mais explique sa vie, monotone. Cependant, il se présente comme courageux puisqu'il s'oppose aux excès de la politique et se dit prêt à tuer le duc, s'il le fallait.
C'est une conception romantique de l'art où l'inspiration vient des Dieux et du malheur que ressentent les Hommes. Mais elle est limitée car l'artiste n'est pas engagé. Tebaldeo a un conception proche de celle de Baudelaire où l'artiste est libre et indépendant.
III. L’intérêt de l’échange
1) L’intérêt esthétique
Cet échange a un intérêt esthétique du point de vue des idées et de la mise en scène.
Tebaldeo exprime la position de Musset sur la conception de l'art, il est son porte-parole. Il fait cela assez longuement et précisément mais vite.
Au niveau de la mise en scène, on est dans la couleur locale, dans l'illusion de la vie.
2) L’intérêt dramatique
La scène joue un rôle important, car elle est liée à l'épisode de la cotte de maille.
La réplique finale «jour de mes noces» est une expression étrange, codée, désignant le jour où Lorenzo fera son coup. Cela s'adresse donc au lecteur et spectateur, c'est de la double énonciation.
De plus, «Tu oses me dire ça, à moi?» a deux sens, c'est une expression ambivalente. En apparence, cela se prend pour un «À moi, qui suis son cousin» mais cela peut être «À moi, qui vais le tuer». Il y a donc une double ironie.
L'intérêt dramatique est donc la confirmation que Lorenzo va tuer le duc sans peur.
Tebaldeo est assez vantard car quoiqu'il dise, il est dépendant des puissants et de Florence.
Conclusion
La scène se présente comme une parenthèse car elle n'est pas obligatoire, la nécessité de l'intrigue de l'exigeait pas. Cependant, c’est l’occasion pour Musset de montrer sa conception romantique de l'art. La scène donne donc des éléments faisant partie de la couleur locale. On peut d'ailleurs la rattacher à l'action car le meurtre se préparera en partie grâce à la subtilisation de la cotte de maille durant le portrait.