Lorenzaccio, Acte III, Scène 3
Introduction
De «Suis-je un Satan?» jusqu'à «le jour de mes noces». C'est un passage de ˜ 30 lignes, situé au milieu de la pièce, dans une scène centrale, au milieu de l'acte III. Cette scène revêt une importance capitale, où Lorenzo dévoile enfin sa vraie personnalité. En effet, jusqu'ici, soit le milieu de la pièce, on ignorait qui était réellement Lorenzaccio, même s'il y avait quelques indices. On a affaire à un «morceau de bravoure», un monologue particulièrement long relevant d'un vraie prouesse d'acteur.
Toute la scène a lieu dans la rue et se découpe en 3 temps:
- L'arrestation de Pierre et Thomas Strozzi, alors que les passants et leur père Philippe protestent. C'est une scène de rue mouvementée.
- Philipe désespère de son bon droit et se lamente sur l'injustice qui règne à Florence. Cela crée un jeu de contraste avec la première partie puisqu'on passe d'une foule violente à un Philippe seul et abattu.
- Une très longue discussion entre Philippe et Lorenzo, assis côte à côte sur un banc. Lorenzo exprime le danger de l'idéal et l'inutilité de son acte puisque les républicains n'en tireront pas profit.
Il n'y a pus d'ambiguité, Lorenzo est un jeune républicain ayant tout sacrifié, jusqu'à sa pureté, à son idéal. Ainsi, il commettra le meurtre car «Le meurtre, c'est tout ce qu'il me reste de ma vertu», ce qui est assez paradoxal.
Problématique: Comment cette longue confession éclaire la vraie personnalité du héros?
Plan:
I) L'état d'esprit de Lorenzo au sortir de l'enfance
II) La démarche pour découvrir le monde
III) La déception que provoque la découverte du monde
I. L'état d'esprit de Lorenzo au sortir de l'enfance
a) Un jeune homme naïf et pur
Lorenzo explique à Philippe son parcours moral: comment en est il devenu à être débauché. Pour arriver à ce but de Brutus moderne, il se renvoie à son statut d'étudiant cultivé, en expliquant ce moment-charnière où il bascule du statut d'étudiant à celui de débauché: «Quand j'ai commencé à jouer mon rôle de Brutus moderne» ; «Ô Philippe, j'entrais alors dans la vie».
Il n'y a pas de repère chronologique précis, on imagine juste qu'il a été un étudiant vertueux durant «vingt années» mais c'est un chiffre rond donc uniquement symbolique. Lorsqu'il fait son monologue, il n'a que 22/23 ans. Cependant, on a l'impression que ce temps de pureté est extrêmement loin. Il se souvient de cette période au présent et parle au passé composé, plus que parfait, passé simple, imparfait. Il utilise donc presque tous les temps, mais surtout le passé composé et l'imparfait, puisqu'il y a des conséquences sur le présent, toutes ses actions sont toujours en lui. L'imparfait est ici de description, donc avec une valeur durative.
Lorenzo est un jeune homme naïf, ce qui est montré avec la métaphore des habits neufs: il n'est pas à l'aise dans son rôle. Cela renvoie au monde de l'enfance, à sa fragilité. Puis, «j'avais commencé à dire tout haut»: c'est un enfant, il est naïf et maladroit, il ne s'y connait pas encore car il n'a pas l'habitude de jouer ce rôle.
b) La solitude de Lorenzo
C'est un être seul: on remarque de très nombreuses occurrences de la première personne du singulier. Cette solitude est suggérée et soulignée par la mise en scène, lorsqu'il est seul avec son fantôme (information utilisée par le metteur en scène). C'est un personnage sans lien affectif, même dans la séduction, il ne parle pas de ses proches, il est malheureux et seul. Il met d'ailleurs beaucoup de temps avant de parler à Philippe.
On a donc ici un moi exacerbé, ce qui est typique du romantisme. Son action politique se fait elle aussi seule.
c) Un jeune homme curieux
Lorenzo est un personnage pure, naïf, seul et qui fait preuve d'une grande curiosité. Et pour cause, il est à l'origine un étudiant avec un comportement intellectuel, qui réfléchit et veut apprendre des choses. Il se pose 3 questions dans ce passage:
- «Suis-je un Satan?» C'est un problème identitaire. Il n'y répond pas. Elle s'oppose avec la phrase qui suit: «Lumière du Ciel!», il y a une contradiction. C'est presque un vers: on voit que Musset est un poète.
- «Pour qui est-ce donc que je travaille?» et «Quand j'aurais fait mon coup, celui-là en profitera-t-il?» Cela se rapporte à son acte et plus précisément à l'utilité de son acte. Il se met ainsi à douter puisqu'en théorie, l'acte est utile mais en pratique, en considérant les gens, ça n'est pas aussi sûr. Il a observé, écouté, cherché, ce qui prouve sa grande curiosité, se traduisant par une forte attente. Il est en grande contradiction avec lui-même. Tout cela le rend héros romantique.
Cette étape du sortir de l'enfance a été un moment charnière, où Lorenzo quitte sa pureté à grand regret, avec une grande nostalgie de son enfance: «Je m'en souviens encore», métaphore des habits. Il y a donc ici un idéal de l'enfance et un Lorenzo malheureux de le quitter pour rentrer dans la grande confrérie du vice.
II. La démarche pour découvrir le monde
a) Lorenzo voit, observe
On relève dans ce passage tout un champ lexical de la vue: «j'observais», «j'ai vu», «je regardais», «mon regard», composé essentiellement de verbes. Ainsi, Lorenzo observe pour découvrir le monde, ce sont des découvertes pratiques. Il y a donc une transformation du personnage: pour lui, à présent voir c'est apprendre, le savoir ne passe plus par les livres mais en allant sur le terrain. Il fait toutes sortes de découvertes.
b) Lorenzo agit
Dans ce texte, voir amène à agir. Dès que Lorenzo a vu, il a appris quelque chose puis il décide d'agir. Il fait donc beaucoup de mouvement (ex: «je marchais») pour rencontrer les gens, de toutes sortes de catégories sociales: il rencontre des républicains dans leur cabinet mais aussi le peuple, aussi bien les marchands donc bourgeois et aisés que des gens plus modestes dans la rue et les boutiques ou encore aux banquets patriotiques. (Rappelons que ce banquet est une allusion historique car sous la monarchie de Juillet, on ne pouvait pas s'exprimer librement, aussi on montrait son opposition lors de banquets politiques. C'est la France de 1834, avec sa situation politique). La seule classe sociale que Lorenzo ne va pas voir est l'aristocratie, car il la connait et qu'elle est du côté des Médicis. Mais il compare tout: les lieux publics, privés, ouverts, fermés.. Il n'apparait plus seul mais mène tout de même son action seul, elle repose entièrement sur lui.
Les républicains se caractérisent par leur manière de parler politique, avec des métaphores et des prosopopées (faire parler un mort ou un objet inanimé).
Lorenzo est donc dans une quête active, il apprend en observant, tout en étant dans un rêve, un idéal. Il n'est pas pragmatique.
III. La déception que provoque la découverte du monde
a) Le thème du masque et de l'illusion
Le personnage s'avère déçu par le monde, dont il espérait beaucoup. Il s'aperçoit qu'il n'est pas du tout comme il l'avait imaginé: le monde n'est pas bien ou mal. On ne peut distinguer ces deux aspects alors que Lorenzo pensait qu'on pouvait clairement savoir qui était qui, grâce à une marque évidente: «Je croyais que la corruption était un stigmate». Mais il s'aperçoit vite que les gens sont comme lui, ils jouent un rôle. Tout le monde est hypocrite et dissimule sa vraie personnalité, il y a une sorte de corruption générale. C'est une vision de la société romantique.
On relève dans le texte deux métaphores, dont celle avec le monstre.
b) La corruption du monde/La laideur morale
Lorenzo voit alors le Mal partout, tout le monde est mauvais: métaphore de l'Humanité. Il voit la réalité des choses, derrière le beau décor, tout est laid. Cela suggère la perte de l'innocence de son enfance.
Philippe réagit en comprenant que Lorenzo est très pessimiste et le désapprouve. Il a une position plus nuancée car celle de Lorenzo est excessive: «Je te plains».
Lorenzo ne fait confiance à personne, si ce n'est à sa famille (sa mère, sa soeur et Philippe, qui s'apparente à son père). Il a un côté malheureux avec une vision sombre. Mais il est contradictoire, on le montre déchiré mais gardant un semblant d'espoir de trouver quelque chose d'honnête car il voudrait que cela soit possible (fin du texte). Et cette lueur d'espoir le pousse à changer, il éprouve un immense malaise.
c) Le malaise de Lorenzo
Ce malaise se manifeste par son trouble de la personnalité, son dédoublement. C'est un héros déchiré entre 2 tendances: le sublime et le grotesque.
Le sublime et l'idéal sont marqués par le fait qu'il soit républicain, avant studieux, intellectuel et qu'il désire et espère l'honnêteté.
Le grotesque et la corruption sont eux montrés par sa débauche avec le Duc et le meurtre qu'il veut commettre. Il fait un mal pour un bien mais il est maintenant prisonnier de son personnage et de la malhonnêteté. Le meurtre s'annonce finalement inutile puisque les républicains ne sauront pas en tirer partie, Lorenzo fait donc fausse route et a été pris au piège. De plus, on ne le prend plus au sérieux, il doit donc s'enfermer dans son rôle.
Ce thème du double est très fréquent chez Musset.
Conclusion
Cette scène a 3 fonctions:
- Une fonction psychologique: elle éclaire la réelle personnalité de Lorenzo et justifie le meurtre d'Alexandre: «Le meurtre, c'est tout ce qu'il me reste de ma vertu», bien que cela soit paradoxal.
- Une fonction dramatique: Jusque là, la pièce s'intéressait essentiellement à Lorenzo, on se demandait qui il était, on essayait de démêler sa personnalité ambigüe. C'était le problème de son identité. A partir de maintenant, on se demande comment il va s'y prendre pour perpétrer son meurtre, on se focalise donc sur la préparation du meurtre. L'intérêt de la pièce s'est ainsi déplacé.
- Une fonction historique: Lorenzo est un personnage et héros typiquement romantique: il a un idéal élevé, tout en étant tiraillé entre 2 tendances, il a du mal à s'accepter et voit le Mal partout.